Les Centres de développement chorégraphique nationaux ont porté depuis plusieurs années un projet d'artiste associé·e visant à accueillir pour trois années un·e chorégraphe. L'enjeu est de lui offrir des moyens de production et de développement de son propre travail et de l'associer aux activités du CDCN.
Julie Nioche accompagne notre structure jusqu'en décembre 2023.
Julie Nioche est danseuse et chorégraphe. Diplômée du CNSMD – Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris en 1996, elle a travaillé comme interprète auprès d'Odile Duboc, Hervé Robbe, Meg Stuart, Alain Michard, Catherine Contour, Emmanuelle Huynh, Alain Buffard, Jennifer Lacey. De 1996 à 2007, elle codirige l'association Fin novembre avec Rachid Ouramdane au sein de laquelle elle participe à des projets communs et initie les siens propres. En 2007 elle crée A.I.M.E. – Association d'Individus en Mouvements Engagés avec une équipe de chercheurs-enseignants, acteurs du monde associatif et praticiens du corps. L'association a pour objet la création des œuvres de la chorégraphe et le développement d'un « art citoyen » consistant à diffuser la danse et les savoirs liés à cette pratique, notamment les pratiques somatiques, dans la société. Julie Nioche est une artiste qui se situe au carrefour de plusieurs champs d'exploration, celui de la création contemporaine, du monde du soin et de la recherche. Elle questionne les territoires de la danse et le transfert de ses savoir-faire dans d'autres contextes. Elle travaille la danse comme un lieu de recherche pour rendre visible sa sensibilité et son imaginaire. Chaque création est un projet d'expérimentation, qui porte une attention particulière au processus, au chemin menant à la réalisation. Les pièces sont des questions posées offrant l'espace du débat et de l'échange. La danse comme lieu de rencontre.
Julie Nioche, nouvelle artiste associée
à La Place de la Danse / 2019–2022
Quels sont les principes qui sous-tendent vos créations et votre recherche ?
Julie Nioche : Je m'intéresse à ce qui, dans nos mondes intérieurs, nos rêves et nos imaginaires, peut être transmis aux autres, et aux manières de les rendre partageables par le geste, que celui-ci soit danse, musique, lumière ou scénographie. Dans la dimension intime de l'être, ce que je travaille n'est donc pas tant la singularité absolue du performeur que l'en-commun des sensibilités et des imaginaires que peuvent éprouver des interprètes et des spectateurs. Je ne parle pas pour autant d'universalité, je considère ces moments plutôt comme des rencontres entre des individus dont certains font partie de la performance et les autres de l'assistance. Suivant les créations, la relation peut se développer dans un cadre resserré, presque en corps à corps, par exemple dans L'heure intérieure et dans Sensationnelle, ou dans un grand espace théâtral avec plus de danseurs, comme ce sera le cas dans Vague Intérieur Vague.
Vous êtes associée pour trois ans au CDCN La Place de la Danse où vous allez donner en effet Vague Intérieur Vague, votre création la plus récente. De quoi y est-il question ?
Julie Nioche : Après Matter, en 2008, recréée pour le festival d'Avignon en 2014, Vague Intérieur Vague est ma deuxième pièce de groupe. Je cherche à y rendre visible ce qui se passe dans la tête d'un danseur quand il danse. Associations d'idées, sensations, traces de l'inconscient, images, fantômes, qu'est-ce qui habite le danseur, qu'est-ce qui nourrit sa danse ? Au cours de notre travail, des sujets communs sont apparus, des archétypes pourrait-on dire. Pour donner accès à cette réalité intime, d'autres médiums que la danse entrent en jeu, la musique, un environnement plastique, des costumes ou des objets. Ils permettent de créer autour des interprètes des environnements sensibles, qui intensifient la relation à leurs propres sensations et sont également des portes d'entrée pour les spectateurs.
Vous êtes danseuse, chorégraphe, vous êtes aussi diplômée en ostéopathie. En quoi cette pratique influence-t-elle votre travail de création ?
Julie Nioche : J'ai suivi un cursus assez classique de formation en danse, grâce auquel je suis devenue interprète et très vite chorégraphe. Mais l'étude du corps et de son fonctionnement, en particulier quand il est en mouvement, m'ont toujours passionnée, c'est la raison pour laquelle je me suis intéressée à des pratiques somatiques et à l'ostéopathie. La thérapie, le soin, ne sont pas mon objectif, ma visée est de connaître le plus de choses possible sur le corps et le mouvement pour étendre mon autonomie et celle des autres, et de ce fait avoir le pouvoir de faire des choix. Le soin, le mieux-être, visent donc l'action, l'autonomisation, le libre arbitre. Plus fondamentalement la question que je me pose et que je pose est : quelle attention porte-t-on à son propre corps, et en particulier à sa vie sensible, à son monde intérieur ? Cette question est éminemment politique. Surexposé dans les pratiques sportives ou la sexualité, le corps peut paraître omniprésent dans la société actuelle, mais il s'agit d'un corps performant, sommé de répondre à des attentes et à des normes. Beaucoup moins visible, le corps sensible n'est pas au centre des attentions sociales, ni même, souvent, individuelles. Comment faire en sorte par exemple que beaucoup plus de gens se sentent concernés par la danse ? Pourquoi est-ce si difficile d'échanger sur la place du corps dans la société ? Toutes ces questions, pas si simples à aborder, sont politiques.
Quels sont les projets que vous pensez mener avec La Place de la Danse ?
Julie Nioche : Les partenariats que le CDCN entretient avec des institutions de culture et d'enseignement ouvrent de multiples possibilités, dans des échelles et des contextes d'une grande variété. Outre la diffusion de pièces nouvelles ou anciennes, nous pouvons envisager des actions avec des étudiants, avec les danseurs en formation au CDCN dans le cadre du cursus Extensions, avec des amateurs, ou des performances dans des musées. Le soubassement de toutes ces actions et propositions est que, performeurs, acteurs et spectateurs, nous avons tous un corps et ce lieu commun est au cœur de notre dialogue. Dans un compagnonnage tel que celui mis en place avec le CDCN, je suis aussi très attachée à des mouvements et à des actions moins visibles peut-être qu'un spectacle donné dans un théâtre, mais qui peuvent faire bouger des modes de diffusion, de fonctionnement ou de relation au public. Un travail invisible, infusant dans la durée, produit du changement.
Entretien réalisé par Dominique Crébassol
Julie Nioche et la formation Extensions
Dans le cadre de ce compagnonnage, Julie Nioche transmet des œuvres de son répertoire aux danseur·euse·s de la formation Extensions.
La promotion 2019-2021 a ainsi traversé : Les Sisyphe, Sensationnelle et L'Impassé·e.
Les danseur·euse·s de la promotion 2021-2022 ont travaillé sur le projet Podere – Danse passante : une déambulation dansée le long du Canal du midi, des kilomètres pour retrouver les corps, le mouvement et cheminer ensemble.
Cette saison, la promotion 2022-2023 participe à un projet de création intitulé Outsider, une manifestation poétique dans l'espace public